Depuis plus d’un demi-siècle, elle ne laisse que des miettes à la concurrence. La marque Calgon, pionnière des anticalcaires destinés aux lave-linge, a conquis le marché à grand renfort de publicité. Invariablement basé sur le même scénario catastrophe, le message publicitaire brandit le spectre de l’inondation à tous les utilisateurs qui oublieraient d’ajouter un agent anticalcaire dans leur lave-linge. La menace est peut-être efficace auprès du grand public, mais elle fait surtout sourire les réparateurs d’électroménager.
Entartrage exagéré
En effet, les pannes de machines à laver provoquées par le calcaire sont plutôt rares. Elles concernent principalement les électrovannes, éléments qui règlent l’alimentation en eau de l’appareil via un programmateur. Dotées de conduits très petits, ces électrovannes sont effectivement susceptibles d’être facilement obstruées. Mais la présence d’un agent anticalcaire dans la cuve n’a aucun effet de prévention sur ces éléments situés en amont. Quant aux autres tuyaux, leur diamètre est suffisamment important pour ne pas être gêné par des dépôts.
Il faut savoir aussi que le calcaire se manifeste surtout à des températures supérieures à 60°C. Or, comme la majorité des cycles sont effectués avec des programmes à 40°C, il est rare que les corps de chauffe soient recouverts d’une épaisse couche de calcaire. En tout cas, l’abominable entartrage exhibé dans les spots publicitaires de Calgon est rarissime. En 2011, le magazine des consommateurs britanniques Which? a d’ailleurs publié les conclusions de tests menés pendant trois ans. Résultat: l’utilisation de tels produits n’a pas de prévalence sur les pannes.
Incohérence publicitaire
Si la publicité pour Calgon s’avère aussi efficace, c’est qu’elle joue sur la peur. Mais une analyse plus approfondie met en lumière des incohérences: comment une couche de calcaire sur un corps de chauffe peut-elle provoquer une inondation? Pourquoi ce produit – décliné en plusieurs variantes – est-il efficace en tablette grâce à sa dissolution «progressive», alors qu’on vante a contrario la rapidité avec laquelle le gel se répand?
Ce qui est certain, c’est que la multinationale Reckitt Benckiser dispose d’un énorme marché sans véritable concurrence. Pourtant, l’anticalcaire s’avère globalement superflu pour un coût qui n’est pas négligeable. Pour une famille, l’utilisation de Calgon représente des charges annuelles qui varient entre 100 fr. et 200 fr. Somme largement supérieure au budget d’entretien et de réparation d’un lave-linge par an, toutes pannes confondues. On peut néanmoins admettre que Calgon engendre de petites économies de produit de lessive en cas d’eau plutôt dure.
Ecologiquement suspect
A souligner encore que l’utilisation de ces agents anticalcaires n’est pas sans poser des problèmes écologiques. Diverses études sont du reste en cours pour analyser leur impact sur l’environnement. Leurs composants – comme les polycarboxylates – sont des substances d’origine pétrochimique. Or, pas moins de 80 000 tonnes sont utilisées chaque année en Europe. Ecologiquement, ils sont peu biodégradables et peuvent dissoudre les métaux lourds présents dans les sédiments et les introduire dans la chaîne alimentaire.
On constate d’ailleurs que Reckitt Benckiser ne ménage pas ses efforts pour adoucir son image avec des opérations d’écoblanchissement (greenwashing). On en veut pour preuve ses programmes visant à réduire la production de gaz carbonique, sa participation à des projets de reforestation ou d’économie d’énergie et d’eau. Mais ces initiatives ne font pas référence à des programmes ou à des institutions officiellement reconnus. Les dénominations telles que «Trees for change» ou «Our home, our planet» demeurent des projets maison ou menés par des associations de fabricants de détergents.
Laurent Zahn